LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 janvier 2018 par le Conseil d'État (décision n° 415726 du 24 janvier 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Life Sciences Holdings France par la SELARL Intervista, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-699 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 49 ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015, n° C-386/14 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 8 février et 2 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 16 février et 13 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Carrefour par Me Éric Meier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 16 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fabien Joly, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Meier, avocat au barreau de Paris, pour la société intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus, porte sur la détermination du résultat d'ensemble soumis à l'impôt sur les sociétés d'un groupe de sociétés fiscalement intégré. Son deuxième alinéa prévoit :« Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa ».
2. La société requérante reproche à ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État en conformité avec le droit de l'Union européenne, de méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Elle dénonce à ce titre la différence de traitement instaurée entre les groupes de sociétés fiscalement intégrés, selon que leurs autres filiales sont ou non implantées dans un État membre de l'Union européenne, pour la prise en compte, dans leur résultat d'ensemble, de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus de ces filiales. Selon elle, le critère ainsi retenu ne serait pas objectif et rationnel et cette différence de traitement, non justifiée par une différence de situation ou un motif d'intérêt général, serait sans rapport avec l'objet de la loi. La société intervenante critique également, sur le fondement du principe d'égalité devant la loi, la différence de traitement instaurée par ces dispositions entre les groupes de sociétés fiscalement intégrés et ceux relevant seulement du régime fiscal des sociétés mères.
3. Dans sa décision du 2 septembre 2015 mentionnée ci-dessus, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé contraire à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne une législation « en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option ». Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, tirant les conséquences de cette décision, que cette neutralisation bénéficie non seulement aux groupes fiscalement intégrés dont toutes les filiales sont établies en France, mais aussi à ceux dont certaines filiales sont établies dans un autre État membre de l'Union européenne, sous réserve que ces filiales remplissent les autres conditions d'éligibilité au régime de l'intégration fiscale.
4. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, une double différence de traitement au regard de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés. D'une part, sont traités différemment les groupes fiscalement intégrés, selon que leurs filiales étrangères sont établies ou non dans un État membre de l'Union européenne. D'autre part, une différence de traitement est opérée entre les groupes de sociétés placés sous le régime des sociétés mères, selon qu'ils relèvent par ailleurs ou non du régime de l'intégration fiscale.
8. En premier lieu, lors de leur adoption, l'objet des dispositions contestées était de définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. En application du droit de l'Union européenne, cet avantage doit également bénéficier aux sociétés mères d'un groupe fiscalement intégré, pour ce qui concerne leurs filiales établies dans un autre État membre. Dès lors, d'une part, les groupes de sociétés dont les filiales sont établies dans un État membre et ceux dont les filiales sont établies dans un État tiers ne sont pas placés dans la même situation. D'autre part, compte tenu de l'objet initial des dispositions contestées, il ne résulte pas de la modification de leur portée une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi.
9. En second lieu, en réservant aux groupes fiscalement intégrés le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges instituée par les dispositions contestées, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d'intégration. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement établie entre les groupes fiscalement intégrés et les autres est également en rapport direct avec l'objet de la loi.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 13 avril 2018.